Patrimoine gagnant ?

Plus la mondialisation et la dématérialisation s’accélèrent, plus le patrimoine devient convoité. Unique par essence, il incarne aux yeux de tous une manière de se distinguer autant que de se doter d’un rôle de transmission et de préservation. Le moindre bâtiment délaissé attise désormais toutes les convoitises. Les uns le voient aussitôt transformé en un tiers-lieux connecté, porteur du même gage de modernité que la possession d’une piscine pour les petites villes dans les années 70. Les autres l’imaginent en concept-store ou en restaurant-lieux de vie. Il faut admettre que, dans cette course à la transformation du passé, les plus actifs ne sont ni les villes, ni les institutions culturelles, mais le commerce et la restauration. Chacun d’eux tente même de repérer ce qu’il pourrait bien occuper avant l’autre. A Paris, l’avidité règne. La piscine du Lutetia n’est-elle pas déjà devenue un flagship Hermès, le grand magasin Old England, une boutique de montres de luxe et La Samaritaine, un duty-free urbain ? On voit aussi des restaurants s’installer dans d’anciennes casernes, gares ou prisons (à Nantes) et même, de plus en plus fréquemment, dans des musées. A chaque fois, le patrimoine est donné gagnant. L’est-il vraiment ? Il y a quelques semaines, à Lille, la maison Vuitton prenait place dans les locaux de l’ex restaurant de poissons L’Huitrière, merveille de l’Art déco, réputé pour son décor en mosaïques. Le voilà superbement restauré grâce à l’intervention d’artisans locaux spécialisés. Désormais, les bancs de poissons accueillent des sacs de luxe. Le lieu a gagné en préservation ce qu’il a perdu en vérité. Le prix de la modernité est toujours trop élevé.